A tire d'ailes

Madame, Monsieur bonjour, mon nom est Aurélie, votre chef de cabine. Le commandant de bord Monsieur Egger et l'ensemble de l'équipage ont le plaisir de vous accueillir à bord de cet Airbus A330 d'Air France.
Pendant que je baignais dans une douce euphorie, je cherchais négligemment l’autre moitié de ma ceinture de sécurité. Ma tendre moitié, elle, me souriait tendrement à mes cotés. Chloé me prenait la main et y déposait un baisé parfumé du nougat mangé un peu plus tôt dans la salle d’embarquement. Et bien que la voix d’Aurélie continuait de résonner dans les hauts parleurs, un ravissement m’enveloppait dont je commençai seulement à jouir. Comment dire, une forme d'exaltation et d'ardeur à vivre qui me réconcilièrent en quelques instants avec l’univers entier. Tout cela au fond se résumait en une formule simple : Une agression au bonheur !
Nous nous assurons de votre sécurité et de votre confort durant ce vol à destination de Cuba. Nous arriverons à La Havane, à l’aéroport international José Marti à 13h25, heure locale, ceci après approximativement 9 heures de vol.
L’humeur primesautière, je me targuais d’avoir réalisé un peu l’affaire du siècle ! Un quignon de siècle, c’est entendu ! Mais quand même, après avoir passé des heures de recherches sur la toile j’avais enfin trouvé la perle rare. Pister le last minute peut-être une chasse épuisante, n’ayant d’égale que celle du grand fauve, mais le trophée capturé il vous gonfle d’une satisfaction tellement débordante.
Veuillez attacher et ajuster votre ceinture de sécurité. Nous vous souhaitons un très bon voyage.
Attentif depuis notre arrivée à l’aéroport, je m’assurais néanmoins que tout était conforme en tout point à ce que j’avais acheté sur le site. Redoutant l’imprévu, plus encore dans la liesse. Et si dans cet aéroplane nous prenions gentiment nos marques je jaugeais avec l’œil du géomètre la délicatesse des mouvements à venir pendant un si long voyage. J’entrepris donc la liberté de mes articulations par l’étude d’un plan bien nécessaire dans cet espace aux confinements agaçants.
Nous vous informons que les bagages à main doivent être placés......
Prévoyant alors le déploiement de mes jambes toutes les 2 heures, j’émettais avec enthousiasme la réflexion que déambuler dans les rues de la « Habana Vieja » et parcourir un morceau du Malecón méritaient au moins cette mise en jambes. Alors que nous glissions lentement sur la piste d’envol, je susurrais un mielleux « te quiero, mi amooor » à l’oreille de Chloé, la fixant d’un regard ténébreux que j’imaginais proche de celui d’un Javier Bardem.
Les téléphones portables peuvent générer des interférences avec.......
Nous avions d’abord envisagé ce séjour en véritables « Barbudos », nous imaginant circuler dans une vieille américaine de la Plaza de la Revolución jusqu’à Trinidad, en nous arrêtant tout de même au Teatro Café Tomás de Cienfuegos pour y lamper un rhum vieux de 15 ans. Mais le temps nous manquait pour d’aussi jolies folies. Chloé se réjouissait alors des bains de nuit dans des eaux tièdes, d’une initiation à la plongée dans un spot marin à la faune foisonnante et si l’envie la prenait d’exécuter des pas de danse sur un boléro langoureux le mojito aux lèvres. J’avais pour ma part décidé de louvoyer un peu entre les plages paradisiaques de Caya Coco et de faire une plongée dans le cœur de la vielle ville, le temps d’une excursion.
Vos bagages doivent être placés sous les sièges.........
Alors que nous prenions de plus en plus de vitesse, grisé par un je ne sais quoi de circonstance je déposais avec gourmandise mes lèvres sur l’artère temporale de Chloé, aire d’émission précieuse de rayonnements si il en n’est. Du coin de l’œil je contemplais avec malice à travers le hublot le manteau nuageux persistant, souhaitant sans regret lui échappé pendant ces 2 semaines.
Nous vous rappelons que ce vol est non-fumeur. Les consignes de sécurité vont vous êtres présentées......
Je n'accordais qu’une attention molle à ces gesticulations, et je sentais émerger doucement, par bouffées, quelques suppositions sur le temps maintenant qu’il me faudrait passer dans mon nouvel intérieur pressurisé. Neuf heures de vol n’étaient pas de la petite bière, mais je me berçais déjà d’images si colorées.
En cas de dépressurisation, un masque d'oxygène tombera automatiquement......
Dès la première poussée verticale ma main vint effleurer celle de ma complice, conjuguant imperceptiblement nos crispations.
En cas d'évacuation, un panneau lumineux "Exit" vous permet de localiser l'issue.....
Un dernier regard sur ce paysage qui rétrécissait déjà, me faisant l’effet vague d’un tableau de Poliakoff. Avec la sensation ébrieuse que me donnaient à chaque fois les décollages venait aussi le moment redouté des cymbales et grosses caisses auditives, les tympans régalaient, mais la parade était rodée déjà depuis longtemps car je dégainais une gomme à mâcher au goût mentholé.
Pour évacuer l'avion, suivez le marquage lumineux....
Chloé et moi nous préparions à vivre ces 9 heures de la manière la plus agréable possible. Moi perdu dans un livre, elle dans ses Cahiers du Cinéma, ponctués de quelques sudokus. Derniers exercices que l’altitude m’interdisait formellement. Non, je ne regarderais pas « Les Vacances de Mr. Bean » sur le petit écran qui me faisait face, tout juste envisagerais-je de piquer un somme au rythme des fuseaux horaire. Me levant alors, le corps instable et la sensation curieuse d’un court vertige, je pris nos bagages à main pour en extraire nos menues occupations. Amer, je dû vite constater qu’aucune des lectures que j’avais emmenées ne m’inspirait vraiment. S’agissait-il peut-être des conditions particulières inclinant à l’inertie de la pensée ? Ni une ni deux, je faisais le pari que les plages de Caya Coco seraient des terres plus fécondes à mes aspirations. Tout n’était pas perdu cependant, car dans le fond du sac je retrouvais le compagnon idéal pour ces heures d’altitude, le journal l’Equipe m’occuperait au moins sur les deux prochaines heures.