La femme chez Seurat

 

Une jeune femme s'offre à la vue du peintre dans la beauté et la simplicité de sa nudité. Sa chair est déjà imaginée en millier de points de couleur. Comment pourrait-il en n’être autrement dans cet antre-là. Elle va se laisser immoler par l’infini mouchetage qui fleurira lentement sur la toile des mains de son amant, de son peintre adulé. Mais je m’exalte un peu trop et perd doucement le fil de mon propos. Car il faut d’emblée mettre les choses au point, George Seurat ne laissait pas ses compositions au soin du hasard. Et en détournant la phrase célèbre du père de la relativité générale, nous dirions qu’avec ce pionnier du pointillisme « l’inspiration ne jouait pas aux dés ». L’unique hasard dans cette affaire pourtant porte le doux nom de Madeleine. Elle a 20 ans, d'une beauté épanouie. Elle devient un jours sa muse en s’immisçant à la dérobée dans son atelier réputé pourtant impénétrable.

Et si c’est avec la plus ferme détermination que l’artiste veut dépasser l’immédiateté romantique de la peinture, c’est avec Madeleine qui l’y succombera étourdiment. Je m’exalte et me distrais encore ! Chez Seurat donc, chaque touche de couleur est le résultat d'un choix, de millier de choix, quel que soit le nombre de coups de pinceau qui affleurent sur le tableau. L'oeuvre entière est réalisée avec la précision et la logique rigoureuse d'un problème mathématique. Il n'admettait rien qui ne soit nécessaire, indispensable à sa création. Jamais, il ne se laissait aller à la tentation de se faire plaisir, "à la petite touche qui fait bien sur la toile". Et même si la présence complice de Madeleine échauffait plus que de coutume ses sens parfois dès l’esquisse…Mais je m’échauffe moi-même et peine à retrouver l’objet de mon dessein !

Je disais donc que l’artiste refusait catégoriquement le moindre embryon de spontanéité. Par là, il se détachait radicalement de la technique instinctive des impressionnistes. Merveilleuses noces que Seurat célébrait entre l’art et la science, une peinture qui s’agence toujours comme une équation. Inlassablement il cherchait le point d’émulsion entre la touche de couleur, fleuretée une à une, et la lumière. Le résultat ne laisse pas de nous étonner, car de cette approche algorithmique l'oeuvre achevée est empreinte d'une singulière poésie. L’illusion d’optique est parfaite ! Des couleurs voisines de la gamme chromatique jaune et orangée, bleue et indigo, magnifiaient la douce Madeleine. Assise devant une petite table de toilette, en train de se poudrer.