Le troisième homme
Les images se succèdent dans une chromatique inquiétante, elles nourrissent nos angoisses dans un jeu d’ombre et de lumière. Le paradis gît désormais en bas, dans les abysses, et c'est l'enfer qui trône en haut, au ciel. Les cadrages, presque toujours penchés, de Carol Reed, la photo fantomatique de Robert Krasker et que dire alors de cette musique mythique d'Anton Karas, obsédante et ironique elle accentue l'épouvante de ce monde nouveau, où les morts font semblant de l'être, mais le sont plus qu'ils ne le croient. Dans ce Vienne ravagé et spectral de l’après-guerre, où se joue les prémisses de la suivante, la froide, se révèlent les personnages d’un film noir, sans doute le plus grand que le cinéma a commit. Toujours sur le fil du rasoir, une atmosphère qu’imprime l’écriture parfaite du roman de Graham Greene, qu’il a lui-même adapté pour Reed. Mais il y a cette touche sans laquelle le film ne serait pas tout à fait le chef d’œuvre qu’il est, suscitant un troublant paradoxe dans la noirceur de l'intrigue, des décors, il y a cette petite ritournelle à la cithare délicieusement acidulée comme une pointe de cynisme. Le tout baignant dans cet éclairage révolutionnaire que Reed qualifiait d’expressionniste, les angles des prises de vue sont absolument remarquables par leur correspondance avec les situations, les visages de Joseph Cotten et d’Orson Welles sont magnifiés. La scène finale est dantesque, où les deux acteurs se lancent dans une course poursuite dans les égouts de Vienne, leurs ombres s’étirent et nous oppresse. Et toujours cette obsédante petite musique qui monte encore…