Au fil de mes inspirations, j'écris sur des sujets variés. Ces premiers textes, rédigés il y a plus de 10 ans, témoignent d'une époque révolue. J'espère qu'ils ont su rester intemporels !
Michel Charles
La femme Cranach l'Ancien

Malgré cette pose complaisamment ostentatoire, cette figure se situe à l’intersection de la sensualité et la sévérité du monde. Il y a ce regard en coin, mais que l’on ne s’y trompe pas, c’est lui qui nous fascine plus que tout, car c’est là que se loge le pouvoir d’une femme qui se sait belle et qui triomphe. Troublante et fascinante modernité que cette peinture de la 1ère moitié du XVIè siècle, symbolisant bien d’avantage qu’une iconographie allégorique où le peintre allemand marque la volonté de nous raconter quelque chose d’autre à travers une mise en scène élaborée et codifiée. Éloquent, vivant, le tableau est empli de séduction mais aussi d'une exhortation à ne pas trop y céder. Bravant des souverains tyranniques, les figures érotiques prennent ici valeur d'emblèmes politiques de la résistance des princes luthériens. Et que dire des voiles qui habillent si impudiquement ses sujets, diaphanes ils dévoilent plus encore et exacerbent le trouble dans cette Allégorie de la Justice. Le sexe se trouve dans la continuité de la garde de l’épée et de la balance attirant notre attention, mais prenons garde, c’est à nos risques et péril !

Et puis, il y a l’éblouissement de ses vénus. Les yeux en amande, presque bridés, qui nous regarde de manière énigmatique. Les coiffes simples laissent supposer des chevelures généreuses, les colliers et pendentifs suggèrent sans doute des courtisanes. Si la Vénus est un sujet très classique de la Renaissance, Cranach en fait une œuvre d'un érotisme absolu. Pourtant, il ne cherche pas à reproduire de façon fidèle le corps de la femme. Il privilégie alors les courbes, gomme les muscles, réduit le torse, allonge les jambes, un peu comme le ferait un de nos graphistes en retouchant une photographie à l’aide d’un logiciel. En choisissant de dessiner cette plasticité sinueuse chez ses modèles il crée ainsi une figure féminine idéale et stylisée sur des canons anti-classiques. Les femmes de Cranach sont "élégantes et sexy", on pourrait presque imaginer que ce sont des top models prêtes à enfiler un jean !
Peintures : 1) Allégorie de la justice (1537), 2) Les trois Grâces (1531), 3) Vénus et Cupidon (1530)
