La femme chez Arcimboldo

Bien en avance sur son temps, Arcimboldo croquait déjà cinq fruits et légumes par jour comme le conseillait la faculté. Au Louvre, pressés d’arriver à la Joconde, les visiteurs passent devant les quatre saisons du peintre maniériste sans s’y attarder. Comme c’est dommage pourtant de ne pas prendre un peu racine devant ces fines fleurs de l’art pictural ! Sans doute le font-ils d’avantage au musée de Vienne, même s’il ne subsiste plus que là l’Eté et l’Hiver de la deuxième série du quadryptique original. Nous ne sommes jamais au bout de nos surprises lorsque nous nous risquons au décryptage de ses troublantes têtes composées. A fortes déclinaisons anthropomorphiques, hyperboliques, puisant autant dans le compotier que chez la maraîchère ses inspirations, le peintre milanais ne cessait de présenter la richesse des trophées du chasseur et du pêcheur. L’effet est immédiat, Arcimboldo réussit le tour de force d’instiller chez le spectateur ébahissement, gêne et mise en appétit
Ses têtes sont-elles laides ? Que non! Elles ne laissent pourtant jamais de nous interpeller sur l’ambiguïté du concept. Par substitution symbolique, puisant dans l’art du trompe l’œil, Arcimboldo décide de nous montrer d’insolites faciès sous l’angle de leur meilleur profil, donnant à voir la variété du garde-manger de la Renaissance. Si le peintre se pique de montrer ses contemporains sous des traits nourriciers, il faut se garder de n’y voir qu’une simple facétie et trouver dans ses œuvres une réelle inflexion philosophique. Il nous dit qu’il n’y a rien de méprisable dans les légumes, ni d’ailleurs dans les volailles plumées et les animaux cuits, comme composants humains. Nous pouvons considérer qu’il en avait gros sur la patate lorsqu’il proclamait que la place de l’homme n’est plus au centre du monde dans cette fin du Cinquecento. Il était du reste dans l’air du temps d’affirmer « que l’homme n’est point distinct de la nature, qu’il participe des éléments et du temps » D’un point de vue métaphysique, la démarche est révolutionnaire !


Peintre de cour et naturaliste par essence, c’est à travers le maniérisme qu’il veut surprendre et ravir les puissants, les grosses légumes dirions-nous aujourd’hui, à commencer par l’Empereur Ferdinand 1er de Habsbourg et les gens de cour. Les portraits de la Renaissance ont voulu faire affleurer « l’âme » dans le regard, dans les traits. Ceux d’Arcimboldo semblent une mascarade, plaisante souvent, cruelle parfois. Mais, et la femme dans tout cela, me direz-vous ? A vrai dire, sa représentation diffère à peine de celle de l’autre sexe dans ces compositions-là ! Faut-il particulièrement s’en étonner ? Tout juste si l’expression féminine s’extériorise surtout dans la richesse de compositions florales très colorées, en remarquant tout de même que la finesse des traits est soignée aux petits oignons. De même que si certaines dames paraissent un peu fanées, d’autres grâces semblent fraîches comme des roses et exhibent avec délectation une adorable peau de pêche. Mais n’abusons pas de l’ellipse, car il nous cuirait de trop railler celle-ci, voyez ses yeux de braise et son tempérament de feu.