Les rames en furie

Le métro aux heures de pointe, que du bonheur ! Bousculades, stress, sueur, miasmes, impolitesse, impudeur. Homme parfois revenu à l’état préhistorique, prêt à vendre sa mère pour un bout de strapontin. Femme impudente infligeant son parfum capiteux au métro entier. Musiciens massacreurs, assassinant régulièrement des classiques, toujours les mêmes, et voulant exaspérément vous faire la pièce. Le voyageur alors, nouvel héro des temps modernes, se sent quelquefois sombrer dans une profonde hébétude. Il paraît même que parfois cela peut réveiller les instincts psychopathes qui sommeillent profondément en nous. Alors, il faut fuir ce tohu-bohu éreintant en allant dépiauter quelques promesses d’évasion dans un bouquin, afin de faire une digression dans l’indigeste routinier, de planer un peu dans les rames en furies. Happés par des histoires à dormir debout ! Mais pas trop tout de même, il vaut toujours mieux garder l’œil ouvert. Cette prophylaxie est des plus limpides, elle se lit à livre ouvert, s’immerger dans des histoires improbables pendant le temps du trajet, de celles qui délestent, qui délassent ! Oyez oyez, gens de plume ! Racontez-nous de ces histoires gouailleuses, enjouées, fantastiques, coquines, futuristes, carrément furieuses ou lentes, introspectives et bergmaniennes, des trucs de flicaille et de canaille, des récits mielleux à faire dégouliner de plaisir les plus romantiques, de la vie quoi ! De la vraie, avec un brin de philosophie, mais pas chiante, du truffé d’indiscrétion aussi, du velouté de quiproquos lelouchiens ! Ficelez-nous du politiquement très incorrect pour finir ! Chacun y trouvera ses petits bonheurs dans ce rayon des bobards romanesques, oubliant pendant quelques stations la tyrannie ambiante. Devenons tous des évadés des mots ! Où le lecteur calfeutré sur sa banquette, le regard captif, exultera. Cet autre, radieux, arborera joyeusement son pavé à la couverture bariolée. L’hilare, le fond de l’œil goguenard, vantera la thérapie salvatrice des lectures grivoises dans ces zones de turbulences. Oui vraiment tous, mais alors tous, même pressés comme des anchois, ils brandiront alors fièrement leurs livres comme des trophées, le temps d’un voyage
Le lecteur pétrifié, ne sourcillant jamais, assis en face de vous il respirait à peine et paraissait enfouis dans une méditation extrême, seul un déraillement le dérangerait. Les ingénieux, armés d’un carnet et d’un crayon notent fiévreusement toutes les 3 minutes.
Il m’arrive d’apercevoir des déçus quelquefois, croyant tenir entre leurs mains toutes les promesses, on les sent le regard à la dérive et l’on devine leur ennui. Le distrait, presque touchant, qui descend en trombe de la rame deux stations trop loin et qui jette rageusement le coupable dans son sac. Le voyageur, le livre posé sur les genoux sans jamais durant son voyage avoir eût le moindre regard pour lui, situation autant troublante que déchirante. Je fus si impressionné par le nombre de lecteurs dans un wagon que je me surpris à y pénétrer sur la pointe des pieds. J’en ai vu tant et tant ! A nous croiser régulièrement dans le métro, vous pensez bien ! D'un œil entendu on se repère si vite ! Nous pardonnant toujours nos petits travers de lecteurs souterrains.