Barry Lyndon

 

Je ne sais exactement si c’est à l’écoute de cette Sarabande de Haendel ou plus encore à la contemplation d’un paysage de campagne brumeux du Suffolk, que peignait d'ailleurs si bien Gainsborough, que me reviennent toutes les réminiscences de nombreux plans, personnages et cadrages de ce chef-d’œuvre cinématographique proche des plus grandes œuvres littéraires, au point par instant que l’on dirait du Stendhal. Sublimés par ses photographies en lumière naturelle ou quelquefois même éclairés à la bougie, il n’y avait que Stanley Kubrick qui pouvait réussir avec autant d’insolence et de génie cette succession de tableaux de maître qui émeuvent par leur simplicité et au fond par leur profonde humanité. Ou est-ce encore cette écoute du Trio en mi bémol majeur pour piano et cordes n°2 de Schubert, qui rythmant les pérégrinations audacieuses de cet arriviste cynique et sans scrupules de Redmond Barry Lyndon, nous transporte immédiatement dans ce récit à l’écriture aussi remarquable qu’intelligente. Réussissant à produire une œuvre à la sensibilité rare, là où beaucoup d’autres réalisateurs sombreraient dans une grandiloquence et une pompe qui siéent trop souvent aux films historiques.

Oui, c’est cela, il s’agit bien de cette musique de chambre qui accentue l’esthétique prodigieuse du film, elle donne le la à chaque mouvement s’accordant à la destinée de ce jeune intriguant, scandant ses pas dans cette course éperdue, allant de la fuite de son Irlande natale jusqu’à son ascension sociale pleine de hardiesse et de perversité dans la fastueuse société anglaise du XVIIIe siècle. Trio en mi bémol majeur pour piano et cordes n°2 encore, qui battra la mesure de cette existence jusqu’aux ultimes soupirs de la déchéance, car toujours Kubrick l’ensorceleur, nous emmène au raz des âmes, dans le fond de leur cœur, avec la noirceur ou la brillance de leur corps. Comme le notait un critique « Jamais mieux que là, peut-être on n'a réalisé certains idéaux plaçant le cinéma comme la synthèse et l'achèvement de toutes les autres formes artistiques. »

Le film est remarquablement servi par la bande son, qui mêle folklore irlandais, joué par The Chieftains et des œuvres du répertoire classique, avec en leitmotiv la Sarabande de Haendel, Il Barbiere di Siviglia de Paisiello, le Trio en mi bémol majeur pour piano et cordes n° 2 de Schubert, March from Imedeo de Mozart ou encore des morceaux de Bach et de Vivaldi.

 

Barry Lyndon de Stanley Kubrick (1975), avec Ryan O’Neal, Marisa Berenson, Leon Vitali, Patrick Magee, Hardy Kruger, Marie Kean, Murray Melvin.(Oscar 1976, César 1977)