Taras Chevtchenko

Au moment où l’Ukraine vit toujours des heures tragiques c’est la poésie qui nous rappelle la force édificatrice de l’histoire des peuples et de ses identités. L’Ukraine est bien une vieille nation qui s’est construite en dépit d’une géographie et d’une géopolitique capricieuse et compliquée. Cette terre fragile s’est trouvé une conscience en la personne du poète Taras Chevtchenko, incarnant avec le plus pur romantisme le sens profond d’un peuple, d’une âme, avec son histoire, sa nature et sa religion. En 1840, à 26 ans, il publie ses premiers poèmes dans son recueil Kobzar, du nom de cette vieille tradition datant du XVIe siècle et restée profondément ancrée dans la culture ukrainienne jusque dans l’entre-deux guerre. Le Kobzar étant le barde itinérant jouant de la lyre et chantant des psaumes. La poésie de Chevtchenko est empreinte d’un profond lyrisme, elle a trouvé son expression dans la seule langue ukrainienne. Peut-on imaginer que deux ans avant la sortie de ce recueil le poète appartenait à une dépendance, l’homme était donc encore serf et venait d’obtenir enfin sa liberté. A 32 ans, à l’amorce de sa maturité littéraire, le tsar le condamne en 1846 à un dur exil pénitencier et lui interdit l’usage de tout papier, plume et pinceau. Libéré 11 ans plus tard en 1857, les privations et d’exigeants travaux physiques ont délabré sa santé. Le purgatoire continue puisque l’Ukraine lui est défendue durant ses derniers quatre ans de vie, son exil se partageant entre Novgorod et Saint-Pétersbourg. Malgré toutes ses meurtrissures son œuvre littéraire compte environ 900 écrits.
Chevtchenko, immense poète ayant œuvré dans la langue populaire de son pays, qu’il sublimait tant au point qu’on lui reconnait la renaissance de la langue et l’essor des lettres ukrainiennes contemporaines. Plus largement, sa poésie peut émouvoir tout être humain. Pour cela, il est à qualifier de poète universel.
Le soleil s’en va, les monts s’obscurcissent,
L’oiseau se tait, le champ devient muet,
Le proche repos réjouit les gens,
Et moi je regarde et mon cœur s’envole
Vers un jardinet sombre dans l’Ukraine.
Et je m’envole et je m’envole et rêve ;
Pendant ce temps mon cœur trouve la paix.
Le champ devient noir, noirs les bois, les monts,
La première étoile apparaît au ciel.
L’étoile ! L’étoile ! Et les larmes tombent.
Oh ! t’es-tu levée en Ukraine aussi ?
Là-bas les yeux bruns te recherchent-ils
Aussi dans le ciel ? Ou bien ils oublient ?
S’ils ont oublié, qu’ils s’endorment donc
Et sur mon destin qu’ils ne sachent rien.
Forteresse d’Orsk 1847.