L'intrigue du cuberdon

 

C’était un mois de novembre, je m’en souviens très distinctement. Nous étions dans l’un de ces restaurants courus autant pour sa convivialité que pour sa carte variée de plats simples et copieux. Ce soir-là, fidèle à sa réputation, l’ambiance était des plus chaleureuse dans un cadre que je qualifierais de rustique, dénoté par des signes étudiés, choisis avec une méticulosité certaine, tels que les poutres apparentes, un sol carrelé en damier blanc et rouge grenat, des murs en crépi, des lustres cuivrés en formes de chandeliers, un mobilier en bois taillé de façon un peu grossière, des napperons et serviettes faisant écho aux couleurs du sol carrelé, les deux tableaux des menus du jour accrochés aux murs finissaient de donner à l’ensemble une touche bien sympathique. Le patron avait la rondeur joyeuse et le personnel de salle était dans l’ensemble plutôt jeune. Nous occupions une table longue car nous étions douze personnes, rassemblées comme nous le faisions chaque trimestre pour notre repas entre collègues de travail. Depuis le début de ce rituel nous avions décidés de choisir à chaque fois un nouveau lieu, tout en gardant, il va de soi, les mêmes critères de cordialité et de bonhommie. Invariablement, dès que nous nous attablions nous nous enhardissions rapidement et les discussions à bâtons rompus ne cessaient plus, nous nous abandonnions. Comme nous commandions des plats différents et variés nous nous permettions l’audace d’aller jusqu’à piquer dans l’assiette du voisin où de la voisine quelques saveurs prometteuses, avec leur assentiment et l’encouragement déjà de quelques verres de rouge où de blanc, mais aussi de bières artisanales blondes où brunes qui faisaient toujours les délices de certains

 

Au café, auquel je ne sacrifiais pas après une heure tardive, ma jeune voisine de droite, dernière promue dans notre petit groupe et rageusement draguée par son vis-à-vis vit posé sur le plateau qu’apporta la serveuse une surprise sucrée qui éveillât autant ses sens que les miens. Un cuberdon était caché entre la tasse et le pot de lait, fière petite friandise de forme conique à la fine croûte de gomme tendre qui se croque délicatement et libère un sirop à base de pulpe de framboise. Je vous prie de croire qu’en un instant une complicité s’installa entre ma voisine et moi, une conversation gourmande s’engageât qui nous livra à qui mieux mieux dans les replis de nos souvenirs, et remontant des profondeurs de l’enfance les saveurs fruitées du cuberdon ou du bonnet de curé, son autre nom, nous faisaient saliver au point que nous convoitions tous deux la chose. C’est dans une connivence presque sensuelle que nos regards se croisèrent, et d’un geste élégant et charnel ma voisine coupa le petit cône en deux parties parfaitement égales. J’eu un frisson de bonheur quand elle m’offrit ma part. Mis en bouche, le bout de la langue stimulé aussitôt, je laissais se prolonger le plaisir que me procurais le mariage de la gomme et de la pulpe de framboise, mais aussi je me délectais de cette nouvelle complicité avec ma voisine de table. Elle était là, la promesse du cuberdon !