Le mépris

 

Soyons honnête, il y a très peu de films de Jean-Luc Godard que l’on peut regarder sans être anesthésié dans la demi-heure. Le Mépris fait partie de ces quelques exceptions. Et au fond le réalisateur aurait pu baptiser son film La Nuit américaine dix ans avant Truffaut, puisqu’il a le premier cette idée de balayer le cinéma sous le microscope pour mieux le disséquer ensuite. Mais aussi parce qu'il clame que le cœur des hommes peut s'assombrir en plein soleil, comme on peut filmer la nuit en plein jour. Godard contemple les déclins du cinéma et de l'amour, irrémédiablement liés. Il veut nous raconter le lent et progressif déchirement d’un couple en Italie. Un voyage qui finit mal. Camille a peu à peu l’impression que son mari ne la regarde plus, ne l’aime plus. Alors que son mari doit s’atteler à la réécriture d’un scénario en train de se tourner à Cinecittà, le doute puis le mépris vont naître chez Camille. Surviendront l’incompréhension et la colère de Paul, d’ailleurs pas nécessairement innocent dans cette histoire presque affligeante de banalité. Chacun a ses torts bien sûr, et le couple n’y survivra pas. Comme tant d’autres. Pourtant, jamais ne pointe l'amertume. Godard est un désespéré optimiste.

 

La magie de ses images, bercées par les plus beaux échos de violon que George Delerue ait composés, prouve qu'il ne croit pas à la mort du septième art. Godard a beau cacher ironiquement le visage de B.B. derrière des branchages alors qu'elle lit un ouvrage d'art, son sens du cadrage prouve combien il sut saisir les vertus rayonnantes de l'actrice. Déesse vivante, filmée au côté de statues de l'An­tiquité, elle offre son rôle le plus envoûtant, le plus énigmatique. Tout est jeu de regards dans Le Mépris. L’égard que traque Camille chez son mari est constant, elle veut convoquer le regard de celui-ci, le provoquer parfois aussi. Pour elle, son époux la trahit dès lors qu’il a cessé de la regarder. Les célèbres phrases "Tu les trouves jolies mes fesses ?", "Je t’aime totalement, tendrement, tragiquement" crient la dépendance du regard de l’Autre ; dépendance à être aimé, mais aussi à exister. Que dire du regard même de Godard, personnel, réflexif, incisif, signant là un de ses chefs-d’œuvre. Les producteurs du film ne voulaient pas de scènes de sexe dans Le Mépris. Godard, fidèle à lui-même, fit mine d’accepter, tout en contournant la consigne. La première scène (post-générique) du film dévoile une Brigitte Bardot complètement dénudée sur un lit. Le regard y est alors au rendez-vous. Et cette inoubliable musique de Georges Delerue de contempler, caresser et traverser le corps de Bardot, illuminant à tout instant, comme la foudre, une tragédie décidément atemporelle. « Le thème de Camille », composé par un musicien véritablement touché par la grâce, est d'une beauté indescriptible.