David lynch - Lost Higway

 

Il ne sert pourtant à rien de raconter un film de David Lynch, il faut se laisser vaudouiser par l’atmosphère. Accepter la transe qui viendra immanquablement nous envelopper les sens. Comme le résumait un critique du 7ème art, la vedette d’un film de Lynch, c’est d'abord Lynch ! La route de la perdition, balafrée par la lueur des phares m’éblouit encore. Dans la densité de cette nuit irréelle l’arrière-plan sonore accroît mon hébétude. Chez Lynch, l’image envoûte, la musique hypnotise. L’ensemble agit en effets narcotiques, en lentes injections opiacées. Dans Lost Highway, les plans se font échos, les chansons colorent inlassablement des obsessions résurgentes. Une interminable route nocturne toujours, coupée d’une ligne jaune continue, elle entraîne Fred vers la schizophrénie meurtrière, tandis que David Bowie assène son I’m deranged ­de sa voix syncopée.

 

Le délire monomaniaque d’une esthétique inconditionnelle, d’une obsession cinégénique absolue nous entraîne résolument dans un voyeurisme pervers. Pas de doute, nous devenons complices de ses ambiances troubles, où se mêle un indicible sentiment de jouissance à la noirceur du film. Lynch juxtapose de vertigineuses plongées dans ses sombres extravagances, la musique vient alors totemiser les plans d’un étrange bestiaire. Le blues luciférien de Screamin’ Jay Hawkins, I put a spell on you, radicalement customisé par Marilyn Manson, utilisé pendant une autre scène fétichiste flamboyante : celle du strip-tease accompli par la blonde Alice sous la menace d’un revolver. Ici, les chansons commentent et amplifient directement l’action, remplissant presque la fonction de chœur antique. C’est sûr, le réalisateur s’amuse aussi : le coup de foudre de Pete pour Alice, souligné par l’incroyable voix de vieux lézard de Lou Reed jouant avec This magic moment. Fonctionnant ici comme un clip euphorisant inséré dans un film magnifiquement oppressant. Un film où les messes noires de Trent Reznor affrontent les instrumentaux partouzards de Barry Adamson et les reptations sexuelles de Marilyn Manson. Moins omniprésent qu’à l’accoutumée, Angelo Badalamenti partage avec Antonio Carlos Jobim les séquences rêveuses posées comme un baume sur les turpitudes vénéneuses de Lost Highway.