Scott et Zelda

Quand même, ils étaient plus glamour que Sartre et Beauvoir. Comme couple mythique, Scott et Zelda Fitzgerald, on ne fait pas mieux dans le genre. Il la rencontre pour la première fois un soir de 1918 au country club de Montgomery. Ça sera elle, il le sent d’instinct. Elle le fait mariner un temps, histoire de... Le mariage a lieu en 1920, mais seulement après que Scott a publié L'Envers du paradis. « J’ai épousé l'héroïne de mes nouvelles.» confiera t-il bien des années plus tard. En réalité, l'héroïne avait attendu que son soupirant gagne suffisamment d'argent. Ce sont deux pur-sang. Elle est d'une beauté à laquelle les photos ne rendent pas justice. Il n'est pas mal non plus, quelque chose d'un prince blessé. Sous les drapeaux, son uniforme était taillé sur mesure par Brooks Brothers. Elle lui avait envoyé une lettre qui se terminait ainsi : « Nous mourrons ensemble, je le sais». Ce que l’histoire falsifiera malheureusement. On dit de Zelda qu'elle est excentrique, baignant dans une douce folie. Elle a par-dessus tout ce rêve ardent de devenir ballerine. Scott lui, acquiert, non sans peine, ses galons d'écrivain. Elle encore qui est une peste adorable. Zelda n'est certainement pas la dernière à le pousser à boire. Elle fut sa muse. Assez vite, elle deviendra sa croix. Au début, ils s'aimaient tellement qu'ils ne possédaient qu'une brosse à dents pour deux.
« Il me serait égal qu'elle meure, mais je ne supporterais pas qu'elle en épouse un autre.» Ensemble, ils élevèrent la fantaisie au rang des beaux-arts. Cette fantaisie eut un prix. Un jour, il faut payer. Cash. Les anecdotes farfelues ne manquent pas, même si elles sont difficilement vérifiables : commander du champagne et des épinards frais à minuit, se baigner tout habillés dans la fontaine d'Union Square, grimper sur les toits des taxis, essayer de découper un serveur en deux. Des légendes se créent pour moins que cela. Ces exploits ont leur charme. À la longue, ils peuvent fatiguer. Les droits d'auteur pleuvent. Ils voyagent, accompagnés de leurs dix-sept valises et de l'Encyclopaedia Britannica. Voici Paris, le Ritz, Montparnasse. La Côte d'Azur n'est pas encore jonchée de papiers gras. Zelda aura sur place une aventure avec un aviateur français, épisode dont on retrouve la trace dans Tendre est la nuit.

Pendant ce temps, Hemingway, le rival, le faux frère, commence à rouler des mécaniques dans les bars de la rue Delambre. Ils incarnent les roaring twenties, dansent sur des airs de jazz, louent une maison à Long Island (« Nous nous permettons de signaler aux invités du week-end que toute invitation à rester le lundi, émise par l'un ou l'autre de leurs hôtes à l'aube du dimanche, ne doit pas être prise au sérieux»). Le gin leur coule dans les veines. En 1925 paraît Gatsby le Magnifique grâce auquel il espérait devenir « par excellence le meilleur écrivain de second ordre au monde ». Le roman avait failli s'intituler Parmi des tas de cendres et des millionnaires. À y regarder de près, une « touche de désastre » flotte dans leurs parages. Accidents de voiture sans réelle gravité, gueules de bois de plus en plus persistantes. Ils fréquentent des riches sans les comprendre vraiment. Le dollar a une odeur de tragédie. Génération perdue, le terme leur va comme un gant. Les bizarreries de Zelda se multiplient, jusqu'à inclure une tentative de suicide. Elle réussit néanmoins à envoyer en secret un manuscrit à Scribner's. Accordez-moi cette valse sort en 1932, et 1392 exemplaires vendus ! Elle se met à peindre, s'imagine être la nouvelle Isadora Duncan. Son état s'aggrave. Elle entend des fleurs parler. Des voix résonnent dans sa tête. La médecine doit bientôt s'en mêler. Les psychiatres coûtent cher. Scott s'épuise à la tâche. On l'oublie trop souvent : entre 1920 et 1937, il fournit cent treize nouvelles. «Bon Dieu, quelle profession infernale que celle d'écrivain!» Zelda effectue des séjours en clinique. Elle lit la Bible, fait des avances aux infirmières. « Sans espoir, sans jeunesse, sans argent, je reste là, à regretter continuellement d'être vivante.» Scott lui rend visite, lui écrit sans relâche: «J'espère que tu lis des livres, tu sais, ces choses qui ressemblent à des blocs mais qui s'ouvrent sur un côté.» Diagnostic : « J’ai abandonné la faculté d'espérer sur les petits chemins qui mènent au sanatorium de Zelda.»

Le bal est fini. L'orchestre range ses instruments. Il faut éteindre les lumières. Hollywood, cette « cité tragique peuplée de jolies filles», lui ouvre les bras. Cela tombe bien. « Physiquement et moralement hypothéqué jusqu'au cou», Scott travaille à des scénarios dont la plupart ne seront jamais tournés, à l'exception de Trois camarades. Son contrat avec la MGM est reconduit. Mille dollars par semaine. A titre de comparaison, Faulkner n'en touchait que 300. Cela éponge les dettes. ll fait la connaissance de l'échotière Sheilah Graham avec laquelle il s'installera au Jardin d'Allah. Elle a 28 ans, un faux air de Zelda. Il croise le producteur Irving Thalberg dont il fera le personnage central du Dernier Nabab. Son ambition demeure : « Obtenir un peu d'immortalité si je ne ménage pas mes efforts.» Sa santé décline. On détecte une tuberculose. Des incidents cardiaques surviennent. Il ressemble désormais à un vieillard, lui qui longtemps n'avait pas fait son âge. Il cesse de boire, carbure au Coca-Cola, ce qui n'arrange pas ses collègues Robert Benchley et Dorothy Parker, rudes soiffards devant l'éternel. Une robe de chambre bleue a remplacé les costumes de tweed et les cravates en tricot. Il mourut d'une attaque le 21 décembre 1940. Il était en train de manger du chocolat en écoutant la Symphonie héroïque de Beethoven. Sur sa machine, il avait tapé 45.000 mots de son futur roman. Il avait 44 ans. Contrairement à une rumeur tenace, ses œuvres n'étaient pas épuisées en librairie. Apprenant la nouvelle, Zelda confia à une correspondante : « La vie semblait pleine de promesses quand il était là.» Huit ans plus tard, elle périt brûlée vive dans l'incendie de son hôpital. Zelda, toujours : « Personne n'aurait pu survivre à notre mode d'existence.» Dans le noir, on entend Scott lui répondre: «Je suis le produit d'un esprit qui ne sait pas ce qu'il veut dans une génération inquiète.» La nuit n'était pas si tendre.